Extrait de la conférence prononcée le 3 avril 2012 à l'université de l'Alberta, Edmonton

PRESENTATION

 

Je suis Roger Fodjo, traducteur et interprète de conférence.

Je suis invité à cet échange à titre d’écrivain romancier, ce qui est mon deuxième métier.

Je suis membre du RAFA, le Rassemblement Artistique Francophone de l’Alberta.

 

J’adresse mes remerciements au professeur Reyns qui a eu l’idée de cette rencontre, ainsi qu’aux responsables du département des Lettres Modernes qui l’ont rendue possible. Cette rencontre est la quatrième tribune du genre après le lancement officiel du livre en août dernier à Edmonton.

 

RESUME

 

Comme de tradition, avant d’entrer dans les détails autour de ce roman, je souhaite donner un aperçu global de son architecture :

Les Poubelles du palais est un roman historique fondé sur un événement vrai.

Cet événement est lequel ?

Au 17^e siècle, un esclave au nom de Nabo fut ramené du royaume du Dahomey et présenté à la cour de France sous le règne de Louis XIV comme cadeau à son épouse, la reine Marie-Thérèse d’Autriche. Le rôle de Nabo est d’amuser la cour par ses bouffonneries comiques. Comme il a excellé dans son métier d’amuseur, la reine est tombée amoureuse de lui et de leurs amours secrètes est née la petite Louise-Marie le 6 novembre 1664. Cette enfant métisse considérée comme enfant de la honte et du déshonneur a été effacée de la cour.

 

En 2010, un étudiant de la Sorbonne issu de la famille royale du Dahomey tombe par hasard sur les indices du crime de 1664. Aidé par deux amis, il va à la conquête de la vérité avec le but de retrouver les traces de Louise-Marie dans l’histoire de France. Sa mission s’avère très difficile dans la mesure où les services secrets n’entendent pas le laisser accéder à cette information qui relève d’un secret d’Etat

 

OBJECTIF VISE

 

Remettre sur le tapis le fléau des préjugés dont souffrent les minorités à travers le monde et en particulier les Noirs. Les préjugés sont basés sur des idées reçues et des suppositions non vérifiées. Le meilleur exemple dans le roman est donné par la situation de Louise-Marie qui est effacée de la cour à cause de sa seule couleur sans qu’elle n’ait eu le temps de montrer ce qu’elle est capable d’apporter à la société française. Il s’agit ici d’une discrimination raciale, mais il faut l’étendre sur d’autres formes de discriminations comme celles basées sur les origines, le sexe, les classes sociales, les religions, la langue, le pouvoir d’achat etc.

 

Le roman est aussi le refus de l’eurocentrisme, doctrine qui place l’Occident au centre du monde géographique et culturel. Je ne revendique pas que l’Afrique remplace l’Europe au centre, mais qu’elle soit tenue en compte. Que son histoire soit rétablie. Que les clichés qui la caractérisent tombent et qu’elle soit jugée de manière objective. Que les différences qu’elle apporte soient acceptées dans le grand ensemble multicolore.

 

PUBLIC VISE

 

Toutes les sociétés du monde, tous les individus, victimes et acteurs des discriminations.

 

J’exhorte les victimes à résister, à être comme le nénuphar qui a les racines et la tige submergées, mais qui se bat pour maintenir la tête hors de l’eau. Il faut chercher à rentabiliser le malheur, à prendre la souffrance comme une source d’énergie pour rebondir.

 

Aux acteurs de discriminations, je leur demanderai de fermer les yeux de la tête et d’ouvrir ceux de l’esprit, car un homme sage est celui qui a perdu ses préjugés.

(lecture extrait : p278)

 

APPEL

 

Je suis conscient du fait qu’on ne peut pas changer le monde tout d’un coup par l’écriture, cependant j’ai espoir que le message de ce roman arrivera à son destinataire, car après l’immense travail abattu par les journalistes pour rendre compte de l’existence du livre et de son contenu, le relais est maintenant donné aux acteurs universitaires pour distiller ce message comme ils savent le faire dans des articles qui ont la chance d’atteindre les preneurs de décisions.

 

IDEOLOGIE LITTERAIRE

 

Puis-je parler au nom de l’Afrique ?

Longtemps j’ai cru que non, parce que je n’ai jamais reçu des Africains un mandat pour parler en leur nom. Mais la réalité est autre. Sans demander mon avis mes livres en bibliothèque sont rangés dans le rayon Afrique. Lors des débats je suis constamment invité à donner la position de l’Afrique. Une conférence où j’esquive de parler de l’Afrique est vue comme déplacée. Alors je prends acte de cette onction tacite et fais de l’Afrique mon terrain de jeu.

 

L’histoire de l’Afrique me sert de miroir dans lequel je m’inspire. L’histoire est particulièrement importante pour deux raisons :

1-     L’origine des maux du présent se trouve enfouie dans le passé proche et lointain.

2-     L’histoire montre sans ambages que le peuple noir a hébergé par le passé des foyers de civilisations puissantes. Qu’il a abondamment contribué aux grandes inventions modernes malgré les idées fausses qui lui retirent toute capacité d’ingénierie.

Les Noirs d’aujourd’hui doivent s’inspirer de cette grandeur du passé pour recommencer à construire des rêves.

Le malheur n’est pas lié à la nature d’un peuple. Le retard social est dû à un accident historique et non à une incapacité innée. Rappeler la grandeur du passé précolonial africain sert à réinstaller dans l’esprit des peuples noirs un moral de vainqueur qui existait autrefois. Le rassemblement est un facteur essentiel à cet élan. Les peuples noirs, quelles que soient leurs histoires particulières, sont collectivement frappés du stigmate de la privation. J’en veux pour preuve ce point commun qui caractérise les écrivains noirs : la prison. Une étude intertextuelle des œuvres produites par des écrivains noirs pris au hasard montre que 70% de ceux-ci décrivent dans leur fiction un univers carcéral. S’il ne s’agit de la prison pure et simple, les personnages subissent tout au moins une privation proche de la prison. Ce trait commun dans la créativité qui est pourtant personnelle, montre qu’il existe un problème commun logé dans le subconscient qui doit alors être résolu par des moyens collectifs.